Renaissance d'une étoile éteinte 
 








Date: 1er septembre 2000
Prénom: personne
Nom: Obscurer
Profession: inexistante
Lieu de résidence: indéterminé
Age: 17 hivers
Statut familial: orphelin

    C’est ainsi que je remplis le questionnaire que l’on me tendis lors de l’inscription au lycée, avant la rentrée qui aurait lieu quelques jours plus tard. J’étais profondément ennuyé à l’idée de retourner en classe, et les heures de cours apportant avec elles leur bagage de lassitude et d’ennui, mon pessimisme ne faisait qu’accroître à mesure que j’obscurcissais de noir les lignes de la feuille quadrillée. A présent que mon restant de liberté se comptait en jours, j’étais dans l’état d’un condamné à mort, attendant presque avec impatience le jour où cette insoutenable attente prendrait fin. Je posai mon questionnaire maintenant rempli sur le bureau du secrétariat, et quittai en silence le funeste bâtiment. Tout en marchant le long des rues je songeais au cauchemard qu’avait été ma vie durant ces dernières années.
J’étais tombé au point le plus bas de la déchéance humaine, mais il ne me restait pas même le courage de l’admettre. Le lourd poids du désoeuvrement avait anéanti mes rêves, brûlé mes ailes et mes espoirs. A force de me morfondre, l’avenir m’apparaissait obscur. Pourquoi vouloir rester sur cette planète morte, sur cette fausse étoile, alors que rien n’y avait plus d’importance à mes yeux ? Seuls quelques cachets blancs me maintenaient en vie, ou du moins tentaient de masquer aux yeux des autres mon vrai visage: celui d’un être pâle et désillusionné.
    Ce soir encore je serais seul, dans un monde froid et stérile, dans un univers qui ne me convenais pas. L’idée de me trouver à nouveau dans cette grande maison vide, abandonné à mes pensées, me serra le coeur d’angoisse et m’empêcha de me diriger vers le centre de la ville. En tournant les talons je préférais fuir cette souffrance, c’est ce qui me conduisit au bord du lac ce soir là. L’onde était silencieuse et sa surface formait un miroir impalpable. Je n’avais aucune idée de la profondeur de cette lagune, mais je la devinais suffisante pour y noyer ma douleur. Je plongeai mon regard au fond de l’abîme, mais j’eu un frisson glacé. Le visage qui me fixait m’obliga à détourner les yeux. Sans doute aurais-je plongé si dans cette eau limpide je n’avais vu un cadavre baigné de pleurs. On dit que le regard est le reflet de l’âme, celui que je croisai ce soir là était si effrayant qu’il ne pouvait pas m’appartenir.
    Le lendemain je me levai comme à mon habitude vers six heures de l’après-midi. Mes insomnies m’empêchaient toujours de dormir avant le matin du jour suivant, c’est pourquoi j’étais dans un perpétuel état semi-végétatif. De manière presque instinctive je me dirigeai aussitôt vers mon ordinateur, qui se trouvait dans un coin de la chambre. Je lançai la connexion internet, ce qui eu pour effet de réveiller mon rat dont la cage était placée à côté. Il prit un air furieux d’être ainsi dérangé, mais je ne m’en souciais pas. Après tout ce n’était qu’un animal, et les animaux ne méritent aucune attention... Je consultai ma boite aux lettre électronique,  et vis que j’avais reçu un message d’un dénommé Psycho. Je n’avais jamais  rencontré cette personne, et c’est donc intrigué que je l’ouvris. Le message  comportait seulement deux lignes, probablement écrites avec précipitation, au vu des nombreuses fautes de frappe. Il me disais ceci:
                          « Je suis enfin parvenu à t’envoyer le livre que tu cherchais. Prends-en
                          soin et ne l’égare pas, il pourrait t’attirer plus d’ennuis que tu ne le
                          penses. Au revoir,
                          Psycho. »

    Je restai perplexe devant ce message. Peut-être que l’expéditeur avait simplement tapé une adresse erronée, et donc ces mots ne m’étaient pas destinés. Mais si c’était le vérité... Sans vouloir trop y croire, je descendis les escaliers et traversai le couloir. Devant la boite aux lettres, mon coeur se mit soudain à battre plus rapidement qu’à l’ordinaire. Pour la première fois de ma vie j’attendais quelque chose, j’étais en proie à une délicieuse incertitude. Je tournai la clé dans la serrure, et ouvris  la petite porte métallique. A l’interieur, un paquet. Je le saisis pour l’examiner de plus près. Il était de la taille d’un livre de classe, épais de quelques centimètres. L’emballage avait été soigné, comme s’il s’agissais d’un objet rare et précieux. Le poids correspondait à l’idée que je me faisais du contenu, et je lu le nom de Psycho en dessous du paquet. L’adresse était pourtant incomplète: il manquait mon nom. Peu importe, si cet objet était arrivé jusqu’à moi c’est qu’il m’était destiné, pour une raison ou pour une autre. Sans en défaire l’emballage je montai le paquet dans ma chambre, brûlant d’impatience d’en découvrir le contenu. Une fois posé sur une petit table, il me sembla soudain que cet envoi allait bouleverser mon existence. C’était un simple pressentiment, que je ne pouvais pas encore expliquer. Mon rat s’agitait dans sa cage, je fis un geste de la main pour l’effrayer. Il se précipita dans un lieu sûr, hors de ma portée et n’osa plus faire un bruit.Avec la plus grande délicatesse je coupai un des côtés de la grande enveloppe, puis en dégageai prudemment le contenu. Il s’agissait bien d’un livre, dont seule la couverture noire bordée d’un liseré argenté m’aparaissait pour le moment. Je le retournais, à la recherche d’un titre, ou d’un auteur. Mais seul un symbole qui m’était jusqu’alors inconnu était représenté: un pentagramme inversé. Quelle pouvait bien en être la signification ? J’ouvris le livre non sans précautions. En effet, il me paraissait ancien, et quoiqu’en parfait état je devinais qu’il avait eu une existence plus longue que la mienne. Sur la première page presque blanche, quelques mots:

                          « L'homme le plus grand, c'est le plus solitaire,
                          le plus caché, le plus isolé, celui qui se place
                          au-delà du bien et du mal, le maître de ses
                          propres vertus, l'homme au vouloir surabondant. »
                          Anton LaVey.

    Cette étrange citation me troubla, et surtout me donna envie de tourner à nouveau la page. Cette fois-ci les inscriptions manuscrites étaient précédées d’un paragraphe annoncant le contenu du livre. Il  s’agissait d’une bible satanique. Je n’avais aucune idée précise du sens de ce mot, seules des images de sacrifices et de rituels me vinrent à l’esprit. Mais j’étais fermement décidé à ne pas m’arrêter là, je voulais comprendre pourquoi ce livre se trouvait entre mes mains. Je commençai la lecture en portant le plus grand intérêt aux illustrations, qui représentaient des paysages vides d’hommes, seulement éclairés par les rayons de la lune. Une fois plongé dans l’univers captivant de ce livre, je perdis toute notion du temps. Ce n’est que lorsque le jour parut que je refermai la couverture noire, épuisé par la longue veille que j’avais effectuée. Je me levai et ouvris la fenêtre. Les premiers rayons du soleil éclairèrent mon visage blême, et je sentis le sang dans mes veines remonter jusqu’à mes tempes. Je respirai profondément, emplissant mes poumons d’un air pur et frais que je n’avais jamais su apprécier jusque là. A l’aube du jour je me sentais renaître, ma vie ne faisait que commencer. J’avais 17 ans et je ne voulais plus mourir. En repensant à ma tentative désepérée de l’avant-veille, je me surpris à sourire. Le suicide est le dernier recours des faibles, la fuite devant les problèmes de ceux qui ne s’assument pas eux-mêmes. A présent je n’étais plus concerné par ces préoccupations, j’avais trouvé le sens de ma vie.
    Mon rat était sorti de sa cachette, et je tendis ma main à l’interieur de la cage. Il l’examina suspicieusement, puis s’aventura à y poser une patte. Puis, voyant que je n’avais aucune mauvaise intention, il se décida à m’accorder sa confiance et grimpa le long de mon bras. Je ne m’étais jamais attaché à ce rat, d’ailleurs je ne lui avais même pas donné de nom. Pour combler cette lacune je lui en choisis aussitôt un: Zelda. J’enfilai mon blouson et placai Zelda dans ma poche interieure. Il parut enchanté et se roula en boule au fond de la poche, profitant ainsi de la chaleur du vêtement. Je sorti de chez moi, après avoir soigneusement glissé le livre sous mon lit, à l’abri des regards. J’avais décidé de retourner au bord du lac, ce que je fis d’un pas léger et assuré. Arrivé devant cet étendue d’eau entourée d’arbres verts et de buissons denses, je m’assis sur l’herbe encore recouverte de rosée. Mon regard parcouru avec satisfaction le paysage calme et silencieux, qui rapellait à ma mémoire des souvenirs d’enfance. L’air chargé de douceur avait un goût de renouveau, l’inimitable saveur de la nature en plein réveil. Au fond de ma poche Zelda dormait paisiblement, je caressais son pelage soyeux pour le ramener à la réalité. S’extirpant avec difficulté de bras de Morphée, il ouvrit les yeux mais parut ébloui par la splendeur du soleil levant. Jamais il n’avait eu de contact avec la nature sauvage, il ne connaissait pour tout environnement que sa cage, dans ma chambre. Je saisis Zelda avec délicatesse et le posai sur l’herbe, attendant de voir sa réaction. Il huma l’air et piétina avec attention le sol meuble. Aucun barreau ne l’empêchait désormais d’avancer, c’est ce qui le désorienta. Puis il s’enhardit et partit en courant vers la forêt. Quelques mètres plus loin il s’arrêta et se retourna. Je cru lire dans son regard de la reconaissance, puis il disparu sous les feuilles. Je me sentais libre également, délivré de toutes les chaînes qui me maintenaient dans un état de dépendance. Ce que j’avais lu cette nuit-là m’avait ouvert les yeux sur ma vie. Je ne voulais plus détruire mais créer, mon propre système de valeurs, mes propres idéaux, mon présent et mon avenir. Je ne cherchais pas l’approbation des autres, seulement à atteindre cette richesse d’esprit qu’apporte la profusion d’idées nouvelles. Sur le chemin du retour une femme dans la rue me tendit un bulletin de participation à un jeu-concours. Je le remplis méthodiquement, inscrivant sur chaque ligne la réponse qui me paraissait juste. A la fin il fallait présenter quelques une de ses caractéristiques, voilà ce qui me vint à l’esprit:

                          Date: 3 septembre de l’an 1
                          Nom: appellez moi comme vous le voulez, pour moi je m’appelle Dieu
                          Profession: artiste et créateur
                          Lieu de résidence: partout où la nature est reine
                          Age: 17 printemps

    Aujourd’hui était le jour de la rentrée, mais c’est le sourire aux lèvres que je me dirigeai vers le lycée.
 
 

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